Une Acadie plurielle

Rédigé par Marie-Claude Rioux
Pour les Rendez-vous de la Francophonie 2021


Dans mon premier éditorial, j’écrivais qu’à partir de 1763, certains Acadiens ayant survécu à la déportation ont choisi de revenir sur l’ancien territoire de l’Acadie pour peupler les régions acadiennes que nous connaissons aujourd’hui dans les provinces de la Nouvelle-Écosse, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et du Nouveau-Brunswick.

C’est le traité de Paris de 1763, mettant fin à la guerre de Sept Ans, qui permettra ce retour. Toutefois, jusqu’en 1784, la législation sera très répressive. Le Board of Trade, ministère britannique chargé du commerce et de l’industrie, ordonne au gouverneur Wilmot de libérer les Acadiens toujours emprisonnés et de leur permettre, comme aux Acadiens déportés, de s’établir à condition de prêter un serment d’allégeance.

Tout en évitant de contrevenir à cette ordonnance, le gouverneur Wilmot impose des conditions additionnelles dans le but de décourager les Acadiens de rester dans la province : des terres peu cultivables et éloignées les unes des autres leur sont octroyées; les Acadiens ne peuvent s’établir qu’en groupe de dix personnes ou moins; ils ne peuvent être propriétaires de terrains; leurs biens sont confisqués; ils doivent signer un serment d’allégeance reniant leur religion catholique et le clergé catholique est expulsé. Enfin, une loi de 1759 annule tous les titres de propriété des Acadiens qui auraient pu exister.

De guerre lasse, les Acadiens acceptent ces conditions et s’établissent sur les terres qu’on veut bien leur accorder. Cet étalement aux quatre coins des provinces maritimes rend les Acadiens encore plus vulnérables puisqu’ils sont entourés de régions anglophones plus densément peuplées. Par ailleurs, leurs terres d’origine et les autres terres arables ayant été prises par les colons anglais, un bon nombre d’Acadiens n’ont d’autre choix que de se tourner vers la mer pour assurer leur subsistance et d’être à la merci des riches propriétaires anglais ou jersiais, ce qui viendra freiner encore davantage leur développement.

Par la suite, une succession de mesures législatives aura pour but de freiner le développement des communautés acadiennes. On leur interdit le droit de vote en raison de leur religion. Il en est de même pour l’éducation dans leur langue maternelle. En Nouvelle-Écosse, par exemple, il faudra attendre l’an 2000 pour que les Acadiens puissent obtenir une éducation en français de la maternelle à la 12e année.

En dépit de toutes ces mesures, les communautés acadiennes se développent à un rythme soutenu. On assiste à la formation de communautés acadiennes d’importance en raison de l’étendue des terres octroyées. On parle alors de régions acadiennes : la péninsule Acadienne, le Madawaska, la région Évangéline et la baie Sainte-Marie en sont quelques exemples.

Par ailleurs, les communautés et régions acadiennes sont très majoritairement francophones et isolées des communautés anglophones. Le fait de ne pas avoir accès à l’éducation en français n’a que peu d’impact sur la survie de la langue puisque, tant du côté des familles que du côté de la communauté, la vie se passe en français jusque dans les années 80, alors que l’arrivée de médias de masse anglophones et d’Internet ainsi que le nombre accru de mariages exogames en raison du déclin de la pratique religieuse modifient considérablement le paysage francophone homogène des régions acadiennes.

L’éparpillement forcé des familles acadiennes dans les provinces maritimes provoquera également la naissance de multiples Acadies ou d’une Acadie à personnalités multiples. Ces personnalités se définissent selon la géographie, le parler, les traditions culturelles et même le pouvoir politique.

Ainsi, les régions de la Baie Sainte-Marie, de Par-en-Pas, de Chéticamp et de l’Isle Madame, en Nouvelle-Écosse, ont leur personnalité propre. Éparpillées aux quatre coins de la province et séparées par plus de 800 km dans certains cas, ces régions ont un français totalement distinct de celui des autres régions et elles ont adopté et préservé des coutumes bien à elles. Certaines jouissent d’une représentation politique, d’autres non. Certaines sont composées d’une succession de petits villages ou sont situées entre la mer et la montagne alors que d’autres sont situées sur des isthmes les séparant des autres villages de la même région.

Ces différences régionales s’appliquent également aux régions acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard, la région Évangéline jouissant de services plus importants en français que les régions de Tignish, de Rustico ou de Souris, largement assimilées, mais qui ont depuis peu des écoles françaises pour permettre aux Acadiens de la région de retrouver la langue de leurs ancêtres.

Quant aux Acadiens du Nouveau-Brunswick, ils jouissent d’un poids politique qui fait l’envie des Acadiens des autres provinces. Toutefois, les différences culturelles et langagières entre les régions du Nord-Ouest, du Nord, de l’Est et du Sud-Est sont tout aussi remarquables. Les Acadiens du Madawaska, qui habitent l’Acadie des terres et forêts, vivent surtout d’agriculture tandis que ceux des autres régions sont davantage tournés vers la mer. L’accent et les expressions des Acadiens du Sud-Est diffèrent largement de ceux des Acadiens des autres régions.

En conclusion, quand on pense aux régions acadiennes des provinces maritimes, il est important de comprendre que toutes ces régions – et parfois même les villages qui composent ces régions – sont dotées de caractéristiques qui leur sont propres.

Par contre, qu’on mange des ployes, de la râpure, du pâté ou de la poutine, qu’on fasse un tintamarre ou qu’on passe la mi‑carême, qu’on jouisse d’un poids politique ou non, ce qui caractérise cette Acadie plurielle, c’est une histoire commune et une résilience qui créent, au bout du compte, une identité dont tous et toutes se réclament : celle du peuple acadien.